Appel à communicationÀ partir des années 1970, la notion d’identité collective, définie notamment par le philosophe et sociologue Julien Freund, émerge en tant qu’objet d’étude. Pour lui, l’identité collective correspond ainsi à l’identification de plusieurs personnes qui ont des choses en commun. « Ce qui cimente une identité collective c’est à la fois la représentation commune que les membres se font des objectifs ou des raisons constitutives d’un groupement et la reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation1 ». Il n’y a donc d’identité collective « que sur la base de la conscience de particularismes2 ». Des sociologues ont également établi des liaisons entre identité collective et architecture3. L’engouement des sciences sociales pour cette notion a notamment su trouver un écho en histoire de l’art avec l’organisation récente de colloques dont les diverses contributions ont été un début de réflexion essentiel, plus particulièrement pour l’histoire de l’architecture. Toutefois, le sujet reste largement circonscrit aux périodes contemporaines4. Pourtant, la relation entre architecture et identités collectives dans des temps antérieurs à la création des nations modernes doit elle aussi être interrogée. À partir du XIe siècle, l’Occident connaît de grands bouleversements dans l’organisation spatiale et sociale des sociétés5. Un système communautaire se forme alors. Parallèlement, dans un contexte de développement des taxinomies sociales, apparaissent différents signes et marqueurs destinés à garantir l’identité de l’individu, comme les armoiries ou les sceaux6. Des groupes sociaux se forment également autour de caractères communs territoriaux, économiques, politiques ou encore linguistiques. En s’exprimant progressivement à travers une sémiotique visuelle, notamment dans l’architecture, les identités collectives deviennent reconnaissables. Ces dernières peuvent par ailleurs se superposer et se multiplier sur un même édifice. C’est pourquoi, depuis les Temps modernes, même si les historiens de l’art classent traditionnellement les œuvres par pays et par régions, les frontières se révèlent plus complexes et fluides7. L’architecture peut ainsi se placer comme un marqueur social et spatial. De surcroît, l’expression de ces identités dans la production bâtie n’est jamais le fruit d’une formation spontanée, mais bien les résultats d’actions, concertées ou non. Ainsi, la question n’est pas de savoir si l’architecture peut incarner les identités collectives, mais comment et dans l’intérêt de qui8. L’objectif de cette journée d’étude est donc de mettre en évidence les processus de construction et de développement des identités collectives dans l’architecture sur un temps long, du XIe siècle au XVIIIe siècle, et sur un territoire large, l’Europe. Les identités peuvent être traduites dans la forme des édifices, dans les décors intérieurs ou extérieurs, ou encore dans les techniques, matériaux ou savoir-faire mis en œuvre. Afin de prendre en compte un large panorama de groupes, toutes les formes architecturales peuvent être étudiées : habitats, ensembles monumentaux, architectures rurales, urbanisme, etc., ainsi que les représentations de l’architecture sous d’autres médiums (sceaux, peintures, enluminures, etc.). Trois thématiques, susceptibles de se croiser, sont à privilégier. Sémiotique visuelle et sémiotique de l’espace Afin de répondre à cette volonté d’affirmation dans l’espace, un ensemble d’éléments visuels peut être développé pour incarner le groupe. Comment une identité collective est-elle traduite dans des plans, des décors architecturaux ou dans un ensemble urbain ? Matériaux, techniques et savoir-faire Le chantier : entre individualité et élaboration collective Il est également nécessaire de prendre en compte les différents corps de métiers qui exercent et s’associent dans le cadre de chantiers (architectes, artisans et ateliers, ingénieurs, dessinateurs, etc.). Ces personnes peuvent travailler seules, faisant ainsi ressortir leur individualité, ou bien être issues d’un groupement éventuellement corporatif ou familial. De fait, il convient d’étudier les protagonistes pour déterminer leur rôle dans l’élaboration du discours identitaire : le choix de ces différents personnages est-il déterminant dans la conception du discours identitaire ? Leurs expériences ou leur origine peuvent-elles être décisives ? Quel est leur rôle respectif dans ce processus ?
[1] Freund, Julien, « Petit essai de phénoménologie sociologique sur l’identité collective », dans Beauchard, Jacques (dir.), Identité collectives et travail social, Toulouse, Privat, 1979, p.74. [2] Ibid. [3] Notamment : King, Anthony D., Buildings and society: Essays on the Social Development of the Built Environment, Routledge & Kegan Paul, Londres, 1980 ; Dovey, Kim, Becoming Places: Urbanism/Architecture/Identity/Power, Routledge, Londres, 2009 ; Jones, Paul, The Sociology of Architecture: Constructing Identities, Liverpool University Press, Liverpool, 2011. [4] Notamment : Fabriquer les identités collectives : un chantier de l’art à l’époque contemporaine (27-28 mai 2021, en ligne) ; Les Formes visuelles du collectif, XIXe-XXIe siècles (07-08 novembre 2019, Tours) ; Workshop Identitäten / Identités (II) (31 mars-1e avril 2020, Paris). [5] Morsel, Joseph, « Les logiques communautaires entre logiques spatiales et logiques catégorielles (XIIe-XVe siècles) », dans Magnani, Eliana, Franco, Hilario Junior, De Campos, Flàvio (dir.), Le Moyen Âge vu d’ailleurs, II : Historiografia e Pesquisas Recentes, São Paulo, Universidade de São Paulo, 2004, p. 253-278. [6] Bedos-Rezak, Brigitte, « Medieval Identity: a Sign and Concept », dans American historical review, n°105, p. 1489-1533. [7] Dacosta Kaufmann, Thomas, Toward a Geography of art, Chicago, University of Chicago Press, 2004. [8] Dovey, Kim, op. cit. p. 45. [9] Choay, Françoise, La Règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, Seuil, 1996 (2e édition).
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